mardi 18 décembre 2007

Expériences européennes aux Rencontres internationales Paris/Berlin/Madrid

REPORTAGE

L’Europe faisait l’objet, le 28 novembre dernier, d’une des soirées de projections des 14e rencontres internationales Paris/Berlin/Madrid. Un programme de quatre « documentaires expérimentaux », de réalisateurs finlandais, français, suisse et néerlandais, qui laissait augurer au spectateur qui n’en savait pas plus une soirée sous le signe de la création européenne. Entre « nouveau cinéma et art contemporain ».

Une Europe dans la distance
Surprise. Si seuls trois films ont finalement été projetés, leur véritable thème et l’intensité tragique qui s’en dégageait leur a conféré un impact imprévu. L’Europe y était vue de l’extérieur, dans la distance qu’elle peut instaurer entre les personnes.
Le documentaire Sudeuropa s’intéresse à la médiatisation de l’île italienne de Lampedusa, porte méridionale de l’Europe où arrivent de nombreux immigrés clandestins. Des voix d’animateurs télé résonnent sur des images des côtes de l’île, paradoxalement vides. Les migrants qui arrivent sont aujourd’hui capturés loin en mer, plus personne ne peut les voir. Alors nous suivons des équipes TV à la recherche d’images, et des touristes qui s’étonnent de ne voir des clandestins nulle part. Quelques images floues de débarquements à la lumière des projecteurs. Tout passe en réalité par les voix off, car les immigrants sont invisibles.

Alors que Sudeuropa développe son sujet sur quarante minutes, trois minutes suffisent à Spectaakkeli pour impressionner le spectateur. Un vieil Iranien se tient torse nu devant un lac. Il nous explique en voix off que la découverte du film Spartacus a représenté pour lui une expérience fondatrice. Il était alors étudiant, vivait sous la dictature du Shah, et s’est identifié à Kirk Douglas et à cette utopie de la révolte. Jan Ijäs, le réalisateur finlandais, a rencontré ce réfugié à l’agence pour l’emploi finlandaise. « Il ne parlait pas finnois, mais était un grand fan de cinéma hollywoodien. Nous avons parlé avec les mains de l’Iran, du film Spartacus et de Kirk Douglas ». De cette rencontre est né Spectaakkeli, qui forme un portait d’une sobriété tragique.

L’utopie de la rencontre
Le dernier des films projetés est une fiction expérimentale de Philippe Terrier-Hermann. Une résidence d’artiste sur une île, en fait un ancien hôpital psychiatrique vénitien, lui permet de mettre en scène la « non rencontre » entre cinq résidents. Ils se parlent, mais chacun dans sa propre langue et sans prêter aucune attention à son interlocuteur. Un jeune homme belge décrit les scènes absurdes que génère la cohabitation entre Wallons et Flamands. Un Mexicain énumère une série d’horaires de bus et de correspondances, tandis qu’une jeune Irlandaise souffre d’avoir perdu sa propre langue : « Je voudrai vous parler dans ma langue, mais je suis obligée de parler anglais. Je ne me souviens que de choses inutiles dans ma langue ». Ce dialogue de sourds contraste avec la sérénité du magnifique jardin de l’hôpital, où résonnent les chants des oiseaux. Philippe Terrier-Hermann a voulu montrer que les frontières existent tant que les gens restent dans leur propre sphère, obnubilés par leurs propres problèmes. Il met à mal « l’utopie de mettre les gens ensemble », celle-là même qui l’a amené sur cette île et a présidé à la réunion de tous ces artistes. « Les acteurs du film sont les autres artistes présents avec moi. Ils ont joué des caricatures d’eux-mêmes » déclare le réalisateur. Ces « nouveaux fous » sont malades des difficultés de la cohabitation européenne, et semblent vouloir nous rappeler que les distances ne pourront jamais être totalement abolies.

Claire Mittau


Raphäel Cuomo et Maria Iorio, Sudeuropa, 40:00, Suisse/Pays-Bas, 2007.
Jan Ijäs, Spectaakkeli, 03:00, Finlande, 2006.
Philippe Terrier-Hermann, Uccellini fiamminghi e vaporetti irlandesi, 10:15, France, 2007.

Plus de renseignements sur les 14ème Rencontres internationales Paris/Berlin/Madrid dans l'article Nouveau cinéma et art contemporain partent à la rencontre du public, de Charlotte Cambier.