samedi 15 décembre 2007

Témoigner par l’art : les peintres allemands de la Première Guerre mondiale

CRITIQUE

Il y a des œuvres d’art qui font mal. Qui dérangent, qui cognent le visiteur. L’exposition Allemagne, les années noires ne peut se visiter paisiblement. Certains, après les premières pièces, sortent en se disant à haute voix « ça suffit, j’en ai assez vu ».
Car au Musée Maillol, l’art rencontre l’Histoire, il naît de l’Histoire. Otto Dix, Max Beckmann, Ludwig Meidner, … ont combattu lors de la Première Guerre mondiale, ont souffert des ravages causés par cette guerre à leur pays, l’Allemagne. Et ils ont voulu rendre compte de cette effroyable réalité avec leurs instruments de peintres.

Ces artistes témoignent, en empruntant aux styles figuratif, expressionniste et cubo-futuriste, de l’expérience qu’ils ont vécue et ressentie personnellement. L’exposition s’organise en deux parties : d’abord le traumatisme de la Guerre de 1914-1918, et ensuite l’Allemagne de la République de Weimar (1918-1933). Elle commence par la série de gravures La Guerre, réalisée en 1924 par Otto Dix. Cinquante gravures pour empêcher que ce conflit ne soit plus tard récupéré comme mythe de la mémoire guerrière allemande. Cette série comporte les éléments qui seront présents dans beaucoup d’œuvres de cette première partie : paysages explosés, horreur des blessés, folie et cohabitation permanente avec la mort. Les aquarelles de George Grosz semblent elles aussi hantées par ces visions atroces de combats et de corps mutilés. Le visiteur découvre ensuite une communication plus singulière, avec les nombreuses cartes postales qu’Otto Dix envoie vers l’arrière et qui représentent son quotidien de soldat.
A côté, Max Beckmann, Jakob Steinhardt et Ludwig Meidner représentent une société allemande tourmentée par la guerre, corrompue par la violence et la mort. Les images sont déformées, les traits tordus. Les champs de bataille jonchés de morts de Grosz et les foules de réfugiés de Meidner s’entremêlent pour témoigner de la rupture que marque pour le pays cette terrifiante destruction.


A l’étage supérieur, au cours des quinze ans qui suivent le conflit, les artistes allemands dénoncent la laideur de la société ravagée par la guerre. Le traumatisme des 800 000 invalides de guerre est employé par Erich Heckel comme allégorie de la société allemande. Les mutilés font partie intégrante du paysage urbain, tout comme les bourgeois enrichis, au luxe ostentatoire. Ces derniers sont représentés par George Grosz et Otto Dix dans des scènes d’orgies, auprès de militaires haineux et de prostituées grotesques et monstrueuses. Les deux artistes développent aussi le thème des crimes sexuels, pathologie héritée de la guerre et qui pousse des sadiques à assassiner des prostituées. C’est finalement la « nuit », hideuse et mortifère, qui se retrouve dans le nom de nombreuses œuvres.
L’Allemagne traumatisée connaît une agitation politique constante, entre meetings et tentatives de coups d’état. Conrad Felixmüller peint le chef de file d’un des mouvements révolutionnaires, Otto Rühle, sous les traits monstrueux d’un Agitateur hypnotisant les foules. Max Beckmann illustre, à travers sa série Les désenchantés, le désarroi de cette société, que la propagande glorifiant Hitler et la Première Guerre mondiale préparent à un nouveau conflit. Le visiteur remarque une affiche du parti national-socialiste proclamant : « Deux millions de morts ! En vain ? Jamais ! Soldats du front ! Adolf Hitler vous montre la voie ! ». Un slogan résumant l’état d’esprit des Allemands qui ont porté Hitler au pouvoir. Et l’échec des témoignages de Dix, Beckmann et Grosz auprès de leurs contemporains.

Claire Mittau

Allemagne, les années noires
Jusqu’au 4 février 2008.
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11h à 18h.

Musée Maillol – Fondation Dina Vierny
61 rue de Grenelle
75007 Paris
http://www.museemaillol.com/